DIEU ET LE RIRE

Fenêtre sur Cour » paru dans Aujourd’hui Poème numéro de mars 2006

Bien sûr, vous voyez tout de suite de quoi je veux parler. Or justement, je n’en parlerai pas. Pas directement tout au moins. Il n’y a plus rien à dire lorsque les positions des uns et des autres nourrissent un tel brouhaha. Avant la guerre des civilisations, il y a la guerre des paroles. Or nous sommes manifestement entrés aujourd’hui dans une phase de phrases armées. S’il y a le moindre espoir de les désarmer, c’est en changeant de terrain.

Je change de terrain. Depuis fort longtemps je me pose la question du rire dans la religion. Pourquoi les religions ne rient-elles pas ? Ou plus précisément : pourquoi le rire n’a-t-il aucune place dans les religions ? Comme je m’interrogeais tout haut en ce sens devant mes collègues poètes du journal, l’autre soir, je me suis entendu véhémentement reprendre : et le rire de Sarah dans la Bible, par exemple, lorsqu’elle apprend de Dieu qu’elle aura, malgré son âge, un enfant ?

Admettons que Sarah rie. Vous ne me ferez quand même pas croire que son rire se soit propagé à la Bible toute entière ! Rit-on dans le Coran ? Rit-on dans les Évangiles ? Non que je sache ! On y souffre, on y est grave, on y est sérieux. Pourquoi, dites-moi, pourquoi cette activité hautement humaine qu’est le rire n’entre-t-elle pas dans les textes sacrés de la religion. Qu’est-ce qui fait que le sacré ne tolère pas la « profanation » du rire ?

Je ne vois ni n’entends aucune réponse convaincante. Sans doute m’objectera-t-on l’Olympe et le comportement de la famille homérique. Cette bonne société bourgeoise vaudevillesque de l’Olympe aime rire. Surtout les uns des autres. Mais furent-ils jamais les protagonistes d’une véritable religion ? D’une religion codifiée, instituée, textualisée. Pas vraiment. Bouddha ? Lui sourit, c’est l’évidence. Ce n’est déjà pas si mal, je reconnais. Son sourire posé sur la danse illusoire des éléments et des hommes a quelque chose de non agressif, de retenu qui incline à la sympathie.

Hugo, dans sa Légende des Siècles, campe un merveilleux satyre « rictus ouvert aux vents » qui comparaît devant la famille olympienne et suscite leurs moqueries avant de les ébranler par ses prophéties sur leur chute. Tout à coup personne ne rit plus. À sa manière Hugo dit pourquoi les désastres naissent de l’oubli, par la religion, du rire. De là sans doute que Rabelais ait institué sa propre contre-religion —parfois dogmatique, elle aussi— du « Pour ce que rire est le propre de l’homme ». Nous souscrivons bien évidemment à son précepte, tout en ne parvenant toujours pas à comprendre ce qui fait que seul le tragique, le sérieux —de sujet et de ton— serait matière humaine à religion.

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