« Fenêtre sur Cour » paru dans Aujourd’hui Poème numéro de la rentrée en Avril 2006
Allons-nous devoir apprendre à jouer à la « bataille virale » ? La manière dont le code scientifique désignant la grippe aviaire se répand depuis quelque temps dans nos journaux nous transforme à notre insu en protagonistes d’un combat tout à la fois épique et puéril.
On imagine des oiseaux en place de navires. Occupant désormais le papier quadrillé en proportion de leur envergure d’ailes là où jadis —pendant les cours de biologie par exemple— c’étaient de torpilleurs et contre-torpilleurs qu’il s’agissait.
Un seul carreau pour un milouin, trois pour un cygne. Et une cigogne ? Dieu merci on n’a pas encore signalé de cigogne atteinte de ladite grippe. Qui, si tel était le cas, toucherait directement la race humaine, les cigognes contaminant nécessairement les nouveaux-nés qu’elles ramènent chaque année depuis l’Afrique ou le Portugal.
Jamais l’innocente « bataille navale » n’avait à ce point entretenu la peur dans la race humaine. Nous voici redevenir tout petits, quasiment lilliputiens, dans notre cohabitation avec les moustiques nos maîtres. Gulliver contre le « chikungunya » !
Réfléchissons un peu : quelle arme nous assurait jusqu’ici de conserver la prééminence sur toutes les autres espèces, dans notre royaume ? Les oiseaux justement, grands consommateurs de moustiques. Les oiseaux qu’on n’avait jamais entendu chanter dans l’île de la Réunion, jusqu’à leur importation. Avec l’esclavage ?
Voyez comme, étrangement, tous les problèmes semblent secrètement liés. Notre Peur qui êtes au Ciel, faites que nous ne devenions pas demain une Terre totalement vide d’oiseaux. Une Réunion offerte à la souveraineté absolue des moustiques.
Car la Poésie a besoin des oiseaux. Pour son inspiration. Sans oiseaux plus d’Albatros, plus de Vieux Marin, plus d’alouette Shelley, plus de rossignol à la Keats, plus de cygne Prudhomme ni Mallarmé. Sans oiseaux le poème devient aussi gratuit qu’une « bataille navale ».
Nous n’avons quand même pas été créés pour céder notre place aux virus ni aux insectes ailés ! Nous ne voulons pas devenir les esclaves d’une pandémie ! Certes, une pandémie ferait sans doute moins de victimes qu’un de nos bons génocides. Mais justement ! Notre liberté à nous réside dans le droit que nous avons de nous exterminer nous-mêmes. Pas par le caprice ailé d’un invisible inoculateur divin !