LA POESIE DANS LE METRO EN PANNE

Il y a de la poésie dans le métro. Francophone cette année. Il est certain que la disposition des vers d’un Abdellatif Laabi est plus réjouissante à l’œil que les phrases succinctes qui font légende aux affiches publicitaires. « Poèmes tombés du train » dit le texte de Laabi. Choix de circonstance, assurément, mais dont le caractère typographique trop sage empêche spontanément qu’on aille le secourir. Il faut avoir soi-même une solide accoutumance à la page écrite pour aller voir de plus près le graphisme un peu maigre de ces petites échelles versifiées perdues au milieu du gigantisme des réclames. Sollicités en leur temps, Apollinaire eût manié l’affichage poétique autrement et Cendrars proposé ses sonnets « OpOetic » dénaturés, composés en 1916. Il n’est pas sûr que nous avancions beaucoup dans le train-train poétique, par comparaison.

L’intention était bonne mais la sobriété, le moralisme qui préside aux choix sont assurément discutables. Comme si le poème devrait nous convaincre par contraste de toutes les séductions immédiates —lingeries féminines, vacances exotiques etc…—- de la publicité. Comme s’il devrait trancher par son sérieux. Or, dans le métro parisien de 2006, je ne note pas davantage la publicité que sa contestation modeste par le poème. Je note en priorité la crasse, la saleté grandissantes. Le métro de Paris vieillit, se désintègre, s’abîme. Une ville est un outil, quotidiennement soumis à l’usure à laquelle obéissent les outils. Un outil s’entretient.

D’autres signes plus nets d’une paupérisation croissante de la société se manifestent autour de nous. Comme, par exemple, ce retour sournois à l’expression des besoins naturels au hasard des angles, des pas de porte, des palissades. Les chiens, pénalisables, se retiennent. Les hommes se lâchent. Les hommes se servent de Paris comme d’une campagne, d’une nature à tous vents. Du côté de Beaubourg des issues de cinéma empestent l’urinoir. On sent dans tous ces abandons individuels la montée d’un redoutable sentiment de fatalité générale. Rien de tel dans le métro de Madrid ni celui de Tokyo, par contraste. Pourquoi ?

Des escaliers mécaniques restent en panne, quinze jours, un mois, condamnant les foules à ahaner lourdement sur des marches noires d’usure entre des murs qui jour après jour s’écaillent. Voyez encore le peu de cas que le transporteur RATP, dans ses investissements, fait de la fatigue des usagers habitant les quartiers excentrés, les banlieues, qu’elle prive du minimum d’assistance mécanique.

La poésie dans tout cela ? Laissez-moi imaginer une poésie critique qui alerterait, qui accompagnerait de ses commentaires le voyage souterrain vers la dégradation. Une poésie contestataire. Qui ferait attention à l’environnement dans lequel elle s’affiche. Une poésie d’intervention rapide. Pas une poésie placide, narcissiquement aveugle aux obscurités quotidiennes de l’Enfer.

Jacques Darras

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