A lire …l’article de Pierre Ducrozet pour IF VERSO
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Il fallait du cran pour s’attaquer à l’un des sommets de la littérature universelle, les Sonnets de Shakespeare, et justement, du cran, Jacques Darras en a. Il fallait du talent surtout, de la grâce, et aucun doute là-dessus non plus, car cela sonne à chaque page, chaque vers, or la tâche était particulièrement ardue pour plusieurs raisons : « J’ai essayé de respecter le rythme et le mécanisme de la rime, nous explique-t-il, le respect de la phrase musicale dans son accouplement au discours logique - mais comment faire ? Si l’on respecte le décasyllabe, il faut raboter une grande partie du vers. Et le français prend trop de temps là où l’anglais de Shakespeare élude. Or il faut que le temps pris par la sémantique ne perde jamais contact avec le tempo. Donc l’alexandrin s’impose, et la rime devient secondaire. On compense, pour arriver à faire passer cette musicalité, avec des rimes internes aux vers. Restent les images, baroques, essentielles. Le point de gravité autour duquel s’enroule et s’articule chaque poème est justement une image. Le sonnet est un corps qu’il faut palper pour trouver ce qui fait son alchimie, son équilibre. » Le résultat est saisissant. De la grande musique. Si Jacques Darras se démarque d’Yves Bonnefoy, William Cliff et de Frédéric Boyer qui se sont eux aussi récemment attaqués à la même montagne, c’est pour cette même question du rythme, que Darras place au centre de son travail de traducteur et de poète, deux chemins qu’il n’a « jamais séparés, en aucune manière. Ma motivation est d’explorer la poésie d’expression anglaise dans la perspective de l’écriture française. Mon « royaume littéraire », je l’ai trouvé dans la langue anglaise. Je suis un poète qui écrit l’anglais en français. J’ai trouvé dans la poésie américaine le dynamisme, le mouvement et l’oralité, qui ne sont certainement pas les qualités de la poésie française contemporaine. Et dans la poésie anglaise, j’ai trouvé une forte prégnance des landes, ces pays sauvages dont je ne comprends pas qu’ils ne figurent pas dans la poésie française. J’ai traduit par exemple Ted Hughes, le poète du Yorkshire, en me disant : pourquoi n’avons-nous pas de poète auvergnat, de poète des causses, de chantre du Cantal ? Je me suis donc retrouvé au confluent des poésies américaine et anglaise. Mes traductions sont mes auxiliaires de poésie. »
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William Shakespeare. Les Sonnets. Traduction Jacques Darras (Grasset)
C’est un monument ; l’une des quelques merveilles absolues du patrimoine littéraire de l’humanité. Les 154 Sonnets de William Shakespeare sont peut-être moins connus que les grandes œuvres dramaturgiques du barde de Stratford, Hamlet, Macbeth, Othello et consorts, mais ils n’ont cessé, depuis quatre cents ans, d’ensorceler les lecteurs et de passionner la critique, à la fois par leur beauté, expression suprême de l’art poétique élisabéthain, et par leur impénétrable mystère.
Car ces sonnets, s’ils participent pleinement à la légende de l’œuvre shakespearienne, en sont aussi l’une des énigmes. À qui s’adressent ces bouleversants poèmes d’amour, tour à tour ode à la procréation, hymne érotique et cri de rage jalouse ? Qui est ce mystérieux « W.H. » à qui le recueil est dédié ? Qui, enfin, est le « William Shakespeare » qui parle ici et semble, au crépuscule de sa vie théâtrale, tomber le masque pour mettre son cœur à nu ?
Après avoir redonné vie et vigueur à l’œuvre de Malcolm Lowry et à celle de Walt Whitman, Jacques Darras nous offre ces Sonnets comme on ne les avait jamais lus – ou, faudrait-il dire plutôt, comme on ne les avait jamais entendus. Car tout l’enjeu de cette nouvelle traduction est de nous faire entendre la musique, proprement inouïe, des vers de Shakespeare : une symphonie baroque, échevelée, d’une audace contemporaine et d’une splendeur inépuisable.
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